Le cycle de conférences Innovation au Napoléon organisait le 17 février 2014 une conférence au titre évocateur s’il en est, en forme de question à une industrie hôtelière malmenée par les nouveaux acteurs qui s’appuient sur les médias sociaux. Retour sur une matinée de débats montrant à quel point il est difficile de changer une industrie confrontée à l’émergence de nouveaux modèles économiques.
En introduction, Nicolas Teissier de l’ESSEC Hospitality Management a brièvement présenté le programme de formation permettant aux acteurs de l’hôtellerie de se former aux nouvelles technologies. Formation absolument indispensable pour comprendre les leviers de la communication digitale au profit d’un hôtel.
Guilain Denisselle (@gdenisselle) de Tendance Hôtellerie (@tendanceh) a ensuite dressé un panorama de l’utilisation des médias par l’industrie hôtelière en posant d’emblée la question d’actualité qui fâche : l’hôtellerie peut-elle éviter de tomber dans le taxi ? En d’autres termes, l’industrie hôtelière va-t-elle se crisper sur son modèle et manifester pour le sauver face aux acteurs de la location d’hébergement ? Avant d’en arriver là, on peut se demander si les dépenses médias de ce secteur sont pertinentes et quel est le retour sur investissement sous-jacent. Comme dans d’autres industries, le digital questionne la segmentation des fonctions (gestion de l’image, yield management, relation client, etc), invitant à une plus grande transversalité organisationnelle.
Faisant a priori figure d’épouvantails, Nicolas Ferray (@NicolasFerrary) de Airbnb et Magali Boisseau Becerril (@magalibedycasa) de Bedycasa, ont défendu la complémentarité de leurs offres par rapport l’hôtellerie traditionnelle. La location d’hébergement entre particuliers offrant pour l’un l’utilisation de ressources dormantes, pour l’autre une réponse à des besoins d’hébergement non satisfaits par l’offre professionnelle. Offres qui viennent chahuter l’hôtellerie traditionnelle représentée par Laurent Duc de l’UMIH (@UMIH_France). Le débat entre tous les trois a montré la tension entre les acteurs traditionnels et les acteurs innovants. Les intervenants et les participants dans la salle sont rapidement arrivés sur le sujet de la fiscalité des revenus des propriétaires ou encore sur des pratiques de commerce illicite d’hébergement sous couvert de location entre particuliers. Que fait l’Etat dans tout ça ? On en appelle au législateur, en France comme ailleurs dans le monde. Législateur qui, paradoxalement, est parfois bien content de pouvoir disposer d’une offre d’hébergement chez les particuliers, lors d’événements exceptionnels drainant un important trafic de population (ex : Jeux Olympiques, Exposition universelle, etc).
Dans un registre moins passionné, Bruno Bodini de Sesame Technology (@sesametechno) a présenté une solution permettant notamment de fluidifier l’enregistrement. Solution fort pertinente aux Etats-Unis où, un temps d’attente de 5 minutes au comptoir d’enregistrement d’un hôtel est considéré comme insupportable. Les Français étant prêts à patienter 15 minutes. Au travers d’un matériel installé sur la chaque porte de l’hôtel, la solution contrôle l’accès à la chambre. Plus besoin de clé, le sésame est automatiquement chargé dans le smartphone du client sous la forme d’un QR Code. L’écran LCD offre également la possibilité de communiquer de manière personnalisée avec le client. Pour l’hôtel, la solution s’accompagne enfin d’un outil back-office permettant de mieux gérer la logistique des chambres. Curieusement, je me suis étonné qu’une solution moderne de ce type n’ait pas prévu d’API permettant à des acteurs tiers de développer des services à valeur ajoutée. On pourrait par exemple imaginer que l’événement « entrée dans la chambre » soit publié. Un éditeur d’applications pourrait l’exploiter, par exemple pour proposer au client des services complémentaires à son séjour à consommer au moment de son entrée.
Jimi Fontaine de Graphinium (@graphinium), spécialistes en Social Commerce / Social Analytic, a ensuite dévoilé les résultats d’une étude sur l’usage de Facebook par 33 hôtels parisiens. Un panel d’hôtels affichant de faibles taux d’interaction avec leurs fans comparativement aux pages de destinations touristiques. L’étude révèle également la distribution géographique des fans, information particulièrement intéressante pour animer les pages aux bons moments de la journée. Sur la forme, les posts avec photos sont plébiscités par les fans. Sur le plan qualitatif, l’étude révèle les posts à succès, c’est-à-dire ceux entrainant une forte interaction avec les fans : recettes de cuisine, célébrités, célébrations. A noter en particulier le succès du chat Fa-raon du Bristol, dont les fans suivent les aventures avec assiduité. Les avis clients sont également à l’honneur, un tiers des pages du panel ayant installé une application dédiée. Des avis clients qui peuvent aussi donner lieu à des récompenses (Trip Advisor Winer 2013 pour le Burgundy ou classement à la 8e place des plus belles vues de Paris pour le Shangri-La) que les hôtels mettent en avant pour animer leurs pages. L’étude analyse aussi les proximités d’intérêts des fans d’une page avec d’autres pages du panel, montrant par exemple que 25% des fans de la page Facebook du Plaza Athénée sont aussi actifs sur d’autres pages du panel, 42% d’entre eux l’étant sur la page Facebook du George V. Enfin, une analyse plus en profondeur de la base de fans d’une page Facebook d’un hôtel, révèle par exemple l’intérêt des fans de la page du KUBE Hotel pour le club L’ARC. Des convergences d’intérêts qu’un Community Manager pourra exploiter pour apporter aux fans de la page Facebook d’un hôtel, les contenus susceptibles de les faire réagir.
Après cette présentation de l’étude, Jimi Fontaine a rejoint Lionel Hernandez de Choice Hotels (@choicehotels) et Yoann Forgeneuf (@yforgeneuf) de Social & Com pour débattre du Community Management des hôtels. Débat qui s’est rapidement cristallisé sur une question récurrente lorsqu’on parle de communication digitale sur les médias sociaux : quel est le retour sur investissement ? Question du ROI qui semble décidément difficile à résoudre. Pour le dirigeant d’un groupe hôtelier comme pour le patron d’un petit hôtel, la question de savoir ce qu’il faut investir sur les médias sociaux est pourtant essentielle. De manière provocante, j’ai demandé aux participants si, à défaut de connaître le ROI des médias sociaux pour un hôtel, il était envisageable de se passer des médias sociaux ? En d’autres termes, que se passerait-il si un hôtel décidait de ne pas être présent sur Facebook ou Twitter par exemple ?
J’ai eu le privilège de conclure cette matinée de débats en déplorant tout d’abord le peu de mobilisation des représentants de l’industrie hôtelière. La date de la conférence était-elle mal choisie, aurait-elle souffert d’un marketing insuffisant, ou le sujet n’intéresse-t-il pas les hôteliers ? J’ai aussi noté la tension perceptible lors du premier débat. La transformation du secteur me semblant pourtant inéluctable, obligeant à revisiter les fonctions de gestion de l’image de marque d’un hôtel, de réservation, de relation client ou encore de formation des opérationnels sur le terrain (ex : faut-il parler à un client en train de s’enregistrer de ce qu’il vient de publier sur Twitter ?). Les échanges avec la salle ont aussi montré le paradoxe du monde dans lequel nous vivons, un monde dans lequel se développe une plus grande traçabilité (jusqu’à l’ouverture de la porte de la chambre d’hôtel) et l’envie d’une moindre règlementation (permettant d’accéder à une offre d’hébergement à moindre coût, même si le service est moindre et surtout moins contrôlé par les pouvoirs publics). J’ai aussi exprimé que, contrairement à ce qui avait pu être défendu, il ne me semblait pas du ressort des acteurs innovants de la location d’hébergement, d’accompagner les propriétaires dans leurs obligations légales. Les lois existent, et si un revenu n’est pas déclaré au fisc, on s’expose à des sanctions. Nul besoin de demander aux intermédiaires qui ont permis d’obtenir ce revenu, de jouer un rôle d’éducateur et encore moins de contrôleur.
Enfin, cette matinée dédiée à l’hôtellerie a montré à quel point les médias sociaux revalorisent l’économie de la confiance. C’est le cas aussi dans d’autres secteurs, comme par exemple dans la finance avec le crowdfunding qui réinvente le financement peu à peu délégué aux seuls acteurs du monde bancaire. Revalorisation de l’économie de la confiance qui stimule l’innovation pour répondre aux besoins des consommateurs.