Pour un numérique humain, note de lecture

12 minutes

Pour un numérique humain attaque très fort, avec ce bel oxymore dans le titre. Comment le numérique peut-il être humain me direz-vous ? L’auteur du livre, Guy Mamou-Mani, développe une vision d’un numérique au service de l’humain, au travers de huit conditions de la transformation numérique de notre pays. Et c’est un enchantement à lire !

  1. Condition #1 : Accepter le sens de l’histoire
  2. Condition #2 : Achever l’acculturation
  3. Condition #3 : Mettre l’école à niveau
  4. Condition #4 : Connecter le monde du travail
  5. Condition #5 : Encourager l’innovation au service de l’humain
  6. Condition #6 : Réaliser le potentiel du Web 3.0
  7. Condition #7 : Protéger les usagers et les états
  8. Condition #8 : Prendre ses responsabilités
  9. Parier sur l’intelligence humaine
  10. Lire Pour un numérique humain

Note : je connais Guy de longue date. Il m’a fait l’amitié de répondre à mes questions dans mon livre La transformation digitale pour tous !, éditions Pearson, co-écrit avec mon ami David Fayon. Interview à retrouver page 293 de notre livre et qui préfigure d’ailleurs plusieurs des thèmes développés dans Pour un numérique humain.

Une fois n’est pas coutume, j’aborde cette note de lecture en mettant en avant les extraits qui m’ont le plus marqué, qui résonnent le plus avec ma vision des choses. Je vous propose donc des citations tirées de l’ouvrage. Et il y en a beaucoup ! J’ai d’ailleurs eu bien du mal à trouver quelque chose à redire sur ce livre. Mais j’ai trouvé, vous verrez 😊.

Dans son nouveau livre, Guy réussit le tour de force de ne tomber ni dans la technobéatitude, ni dans la technophobie. C’est un humaniste profondément motivé par l’envie d’aider nos concitoyens à profiter pleinement du numérique. On le sent au fil des pages. J’admire sa capacité à rester calme après tant d’années d’effort pédagogique face aux lenteurs de notre pays en matière de numérique.

Ainsi il égrène les huit conditions pour une transformation numérique réussie, en distillant quelques pointes d’agacement ici et là. À ce titre le livre Pour un numérique humain devrait être offert à tous nos dirigeants et hommes politiques, et il devrait être obligatoire qu’ils le lisent et démontrent qu’ils l’ont compris, pour continuer d’avoir le droit de diriger le pays !

Au fil de ses livres, l’abnégation et la patience dont Guy fait preuve pour sensibiliser nos élites au numérique, forcent l’administration. Déjà dans L’apocalypse numérique n’aura pas lieu, il se voulait rassurant. Ici, il hausse doucement le ton. Ça risque de grincer dans les couloirs feutrés des ministères, en particulier à l’éducation nationale.

L’auteur donne ainsi l’exemple de l’arrivée de la calculatrice dans les années 1980, ce qui me rappelle mon cours de calcul matriciel à l’EPITA, en 1991. Je n’étais pas là pour calculer mais pour apprendre à développer des logiciels qui calculent à ma place. Au lieu de faire les exercices qui m’étaient demandés (ex : multiplier deux matrices), j’ai développé un programme en basic sur ma Casio. Car la fonctionnalité de multiplication matricielle n’était pas disponible. Pendant ce temps-là, les autres élèves avançaient dans l’exercice et enchainaient les multiplications. Quand j’ai eu terminé de développer le programme, je me suis mis à saisir les données des exercices. Au final, et bien plus vite que les autres élèves, j’ai fait tous les calculs demandés par le professeur, sans aucune erreur. Devinez qui m’a demandé le code du programme ? Tous les élèves équipés de la même calculatrice bien-sûr ! Le professeur, qui prévoyait un temps considérable pour nous laisser faire ces exercices, voyait les têtes se relever beaucoup plus vite que d’habitude. Il était temps de changer la pédagogie. C’est tout le sens de l’appel de Guy à changer profondément l’éducation avec le numérique.

Sous prétexte de « remettre de l’humain » à court terme, on régresse vers moins d’humanité à moyen et long terme – quelle ironie ! (Page 15)

L’auteur soulève en une phrase tout le paradoxe des injonctions contradictoires auquel le numérique fait face. Or en 2024 il est plus que temps que la France aille de l’avant avec le numérique. Et à fond !

Ce livre s’adresse à tous ceux qui veulent être les sujets, et non les objets, de la transition numérique. » (Page 20)

Indispensable lecture pour tous ceux qui veulent être les acteurs, les moteurs, les faiseurs d’une société s’appuyant sur le numérique, avec nos valeurs européennes.

Condition #1 : Accepter le sens de l’histoire

Quant au premier microordinateur à avoir été vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde, le Sinclair ZX81, aujourd’hui complètement oublié… (Page 27)

Comment pourrais-je oublier l’ordinateur sur lequel j’ai tapé mes premières lignes de code, en basic, à l’âge de dix ans, en 1981 ?

La transition numérique fonctionne de telle manière que seul l’être humain peut en être le moteur. (Page 31)

Les sceptiques et les Cassandre en sont pour leur compte. Nous devons prendre les choses en main pour que le numérique soit ce que nous voulons qu’il soit. Au service du bien-être de nos concitoyens.

Il est de bon ton de dénoncer à grands cris les réseaux sociaux. (Page 35)

Alors que je lis cette phrase, je repense à ce sondage proposé la veille aux lecteurs du Figaro. À la question « les réseaux sociaux ont-ils été un progrès pour nos sociétés ? » 86,29% répondent par la négative ! On ne peut qu’être stupéfait par autant de bêtise. Comment ignorer la contribution positive des réseaux sociaux ? Ce qui ne veut pas dire qu’on les absout de tous leurs excès ! Mais imaginez ce qu’auraient été les confinements liés au Covid-19 sans les réseaux sociaux. Un cauchemar !

Sondage du Figaro du 2 février 2024, pour le 20 ans de Facebook

Le numérique ne sera un progrès que si nous avons les compétences et les aptitudes à le rendre tel. (Page 37)

Je ne peux qu’être d’accord. Tant et si bien que depuis début 2023, je sensibilise mon réseau LinkedIn à ce sujet. Je demande chaque mois quelles connaissances chacun à acquises. Et pour montrer l’exemple, je partage les formations que j’ai suivies (voir par exemple ce post). Apprendre en continu est désormais une obligation.

Condition #2 : Achever l’acculturation

Au fond, le numérique, c’est la vie. (Page 39)

Eh oui, aussi étrange que cela puisse paraître. Le numérique est d’autant plus efficace qu’il est lié à la vie, à nos quotidiens, qu’il nous aide. Les usages vertueux sont pléthores.

Le raccordement à Internet deviendrait ainsi un critère supplémentaire de la « décence » d’un logement telle que définie par la réglementation. (Page 52)

Là encore, je suis d’accord ! D’ailleurs depuis plusieurs années, ma première question en choisissant un logement est : est-il fibré ? En 2013 ça pouvait surprendre. En 2024, ça doit devenir un basique, au même titre que le raccordement à l’eau ou à l’électricité.

Condition #3 : Mettre l’école à niveau

Depuis la loi du 3 août 2018, le portable est interdit dans les écoles et les collèges. (Page 57)

Je découvre atterré cette loi comme un appel à l’archaïsme. Qui a eu l’idée d’une telle ineptie ?!

Très peu [d’enseignants], en revanche, partent du numérique pour construire leurs enseignements, ce qui serait le signe qu’ils perçoivent la dimension anthropologique de la transformation numérique. (Page 60)

Cela me rappelle ma fille aînée, alors en CM1, qui devait apprendre par cœur les départements et leur préfecture. Nous étions en 2008. Armée d’une feuille de papier listant les informations à apprendre, la pauvre petite se morfondait devant l’ampleur et l’ennui de la tâche. Comme je la comprenais ! Je constatais avec effarement que rien n’avait évolué depuis que j’étais en CM1, 28 ans plus tôt. Il se trouve que je travaillais à l’époque en mission pour le groupe France Télévisions. La chaîne France 5 avait lancé un site Web pédagogique pour découvrir la géographie en s’amusant. Il faisait d’ailleurs partie des ressources proposées gratuitement aux enseignants. J’ai proposé à ma fille de l’utiliser : changement immédiat d’attitude, enthousiasme et apprentissage accéléré. Seize ans plus tard je m’interroge encore sur la raison qui avait empêché son institutrice de parler de ce site.

Jusqu’ici, les pages se suivent et je hoche de la tête en signe d’approbation. Et je trouve enfin un point qui mériterait un développement. En effet, j’aurais aimé que Guy nous parle aussi de l’effondrement de la France dans les classements internationaux, PISA et DESI notamment. De là à faire le lien avec le désamour de la France pour le numérique, il n’y a qu’un pas ! Le zoom sur l’exemple australien du numérique dans l’éducation page 64, était bienvenu. Nous devons nous inspirer de ce que les autres pays font mieux que nous en matière de numérique et arrêter de faire les coqs : la France est en retard en matière de numérique et ce n’est la faute que de nous-mêmes !

Condition #4 : Connecter le monde du travail

Contrairement à ce que pensent certains patrons, la transformation numérique n’est pas l’affaire du responsable informatique de l’entreprise […]. C’est au chef d’entreprise de prendre la barre car c’est à lui qu’incombe la responsabilité d’assurer la continuité de l’activité. (Page 70)

Je le dis et le répète à tous les CEO, DG, présidents de directoire, présidents de conseil d’administration, patrons, entrepreneurs, dirigeants, que je rencontré. Et j’ajoute souvent, avec beaucoup de moins de tact que Guy, que le poisson pourrit par la tête. D’ailleurs lors d’un diagnostic digital à avec DIMM.UP, l’indicateur PF2 est mon préféré (je fais exprès de ne pas vous en donner la définition pour que vous la trouviez par vous-même sur la plateforme dimmup.com😁). On y apprend tellement sur la culture que le chef d’entreprise peut insuffler à ses équipes !

Condition #5 : Encourager l’innovation au service de l’humain

Page 87, et c’est le seul endroit dans livre, j’ai été surpris par le propos de Guy sur le DESI. Appelle-t-il à le remplacer par un indice de mesure du programme européen DIGITAL ? Cela mériterait un éclaircissement, peut-être sous la forme d’une tribune dans un journal économique.

Condition #6 : Réaliser le potentiel du Web 3.0

Le chapitre 6, Réaliser le potentiel du Web 3.0, est celui qui m’a le moins convaincu. Tout simplement parce que le Web 3.0 me semble trop nébuleux, trop gangrené d’arnaques, pour être porteur d’une promesse d’un mieux-être avec le numérique. Je reconnais cependant l’effort pédagogique de Guy dans ce chapitre. Il a presque réussi à me convaincre !

Le métavers, c’est la vie réelle sans la pesanteur de la matière, du temps et de l’espace. (Page 105)

J’ai déjà exprimé mes doutes sur le métavers. Mais présenté comme ça, il y a de quoi être moins circonspect et s’intéresser au sujet. Ce que je fais à reculons, je dois bien l’avouer, déjà par réticence à m’équiper d’un matériel spécifique pour « aller dans le métavers ».

Condition #7 : Protéger les usagers et les états

Il serait inadmissible que nous ne tirions pas les leçons de l’épisode « Cloud », avec les retards technologiques que notre pusillanimité et notre incompétence nous ont fait prendre, et les handicaps qui en ont résulté, au moment d’aborder le nouveau chapitre de notre histoire technologique commune : celle de l’intelligence artificielle. (Page 126)

Cette phrase devrait être encadrées dans les couloirs des ministères, ou gravée sur du marbre en lettre d’or, si cela s’avère plus efficace pour être entendu.

Condition #8 : Prendre ses responsabilités

Le numérique ne sera un progrès que si les individus et la société exercent pleinement leur responsabilité. (Page 130)

Vous avez bien lu : les individus ET la société. Pas les individus qui attendent que la société leur mâche le travail. C’est à chacun d’entre nous de nous approprier le numérique, de développer notre curiosité, d’oser tester les nouveautés. C’est aussi à chacun d’être vigilant quand on se sent absorbé par un usage qui devient chronophage et excessif. C’est à chacun d’être prudent et de faire preuve de bon sens face aux fake news ou à la tentation de faire suivre sans réfléchir une information à son réseau (le plus souvent pour flatter son égo).

L’École 42, l’une des écoles de coding les plus importantes de l’écosystème numérique français, a vu son taux de candidates aux épreuves de sélection passer de 7% en 2017 à 46 % en 2021, grâce à une politique de communication et de sensibilisation offensive. Ces chiffres montrent à la fois qu’il est possible de changer les esprits quand on s’en donne les moyens et qu’il y a une réelle attente des filles envers le numérique ! (Page 144)

Nous avons là un point de désaccord. De mon point de vue, ces chiffres montrent l’efficacité de la communication de l’École 42 pour attirer les jeunes filles (voire dissuader les garçons). C’est bien-sûr une analyse des choix d’orientation vers les métiers du numérique de l’ensemble d’une classe d’âge qui doit être menée, et non généraliser au travers du prisme d’une seule école, aussi importante soit-elle dans l’écosystème de la formation initiale aux métiers du numérique. Nous nous rejoignons cependant pour considérer que nous ne pouvons pas laisser les femmes étrangères au numérique.

Parier sur l’intelligence humaine

Pour bien utiliser ChatGPT, par exemple, il y a une compétence que ChatGPT ne pourra jamais acquérir, et que les êtres humains devront continuer à enseigner aux petits êtres humains dans les écoles, c’est celle de savoir poser des questions. (Page 148)

Beaucoup de sagesse dans cette phrase qui vise à rassurer les anxieux de l’intelligence artificielle. Non, les robots et les logiciels ne nous remplaceront pas. Ils nous aideront. Arrêtez de regarder Terminator (même si j’adore ces films !).

L’intelligence artificielle est indiscutablement au cœur du nouvel âge numérique. Elle provoque une accélération sociale et anthropologique inédite. Et, dans cette histoire, notre ennemi, ce n’est pas le robot, point focal de fantasmes souvent absurdes. Notre ennemi, c’est nous-mêmes, notre pusillanimité, notre paresse, notre sectarisme. (Page 154)

Vous l’aurez compris, cette dernière citation, en écho à l’actualité frénétique sur l’IA tout au long de 2023, nous rappelle un point essentiel : la transformation numérique est avant tout un sujet humain. Soyons audacieux et faisons l’effort nécessaire pour faire du numérique un formidable moyen au service du mieux-être de nos sociétés !

Lire Pour un numérique humain

En conclusion, comme je disais plus haut, je recommande la lecture de Pour un numérique humain à toute personne en position de décideur et ceux qui aspirent à l’occuper, à quelque niveau que ce soit. Les politiques doivent consacrer quelques heures à lire ce livre. Comment mener notre pays vers un meilleur futur, sans comprendre de manière éclairée l’apport du numérique ? Guy Mamou-Mani livre ici mieux qu’une profession de foi de ministre du numérique, mais un éclairage sur les conditions qui feront de la France conservera, grâce au numérique, son statut dans les années à venir.

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